Une étonnante expérience : le cheval est capable de communiquer ses sensations

  Est-il possible de communiquer avec les chevaux à l’aide de signaux visuels comme des panneaux ? C’est ce qu’ont démontré des chercheurs norvégiens dans cette étude (1).

  Ces chercheurs voulaient répondre à la question suivante : si l’on arrive à apprendre à des chevaux à pouvoir demander s’ils souhaitent qu’on leur mette ou non une couverture sur le dos, que vont-ils faire ? Les couvertures sont très utilisées en Norvège pour les chevaux puisque le temps est souvent très peu clément et les chevaux y sont donc habitués.

 

Quelques photos fournies par l'équipe de recherche. On y voit notamment les panneaux qui ont servis à communiquer avec les chevaux.

 

Cette expérience est passionnante par ses propres résultats mais aussi pour les perspectives qu’elle offre aux futures études qui permettront sans aucun doute de mieux comprendre l’intelligence des chevaux.

  Pour en comprendre pleinement la portée, il est intéressant de revoir quelques définitions et d’expliquer des notions sur l’apprentissage.

  Avertissement aux lecteurs : vous pouvez cependant ne pas regarder ces explications (partie 1)) et directement consulter l’expérience et ses résultats (partie 2) et 3)) si vous le souhaitez puisqu’elles dépassent le cadre de l’étude proprement dite.

  Rassurez-vous, je ne vais pas non plus répertorier tous les mécanismes de l’apprentissage car ce serait vraiment rébarbatif. Mais si les notions sont assez complexes, il est indispensable de finir par les maitriser parce que les comprendre, c’est aussi pouvoir expliquer de nombreux comportements que nous pouvons rencontrer avec nos animaux de compagnie.

  Comprendre comment les animaux  pensent et à quoi ils pensent, c’est-à-dire quel est leur monde mental, est également ce qui rend passionnant le fait de les côtoyer.

Nous allons donc suivre ce plan :

1) Quelques définitions utiles pour comprendre les comportements : apprentissage, stimulus, et conditionnement.

2) La méthode d’apprentissage que les chercheurs norvégiens ont inventée pour communiquer avec les chevaux et ses étapes.

3) Les résultats de l’expérience

1 – Comment les animaux apprennent-ils? Qu’est-ce que l’apprentissage et quels en sont ses mécanismes ?

  Alors que nous utilisons le terme d’apprentissage couramment, il n’est en réalité pas si facile à définir en sciences. L’apprentissage au sens large est un processus psychologique qui permet à un organisme de modifier son comportement en tenant compte de ses expériences antérieures. Ainsi, cela permet d’éviter et de répéter les mêmes erreurs et d’ajuster finement un comportement.

  L’apprentissage suppose le recueil d’informations venant de l’environnement par les organes des sens, le traitement de ces informations par le cerveau, leurs mémorisations et leurs actualisations.

  La plupart des processus d’apprentissage de base font partie de ces deux grandes catégories : les apprentissages non associatifs et les apprentissages associatifs.

  Les apprentissages non associatifs sont l’habituation, la sensibilisation et l’empreinte. J’ai déjà évoqué l’habituation dans un article concernant le développement des chiots.

  Les apprentissages associatifs sont appelés conditionnement. On distingue le conditionnement pavlovien et le conditionnement opérant (ou instrumental). Si dans l’étude norvégienne, c’est de conditionnement opérant dont il est question, il est cependant intéressant de rappeler les mécanismes des deux types de conditionnement puisque la compréhension de l’un facilite la compréhension de l’autre.

Le conditionnement pavlovien

Définissons tout d’abord ce qu’est un stimulus (stimuli au pluriel) : Un stimulus est tout simplement un signal qui est capable de déclencher une réaction dans un organisme. La réaction que l’on observe peut-être une réponse physiologique ou psychologique.

Un stimulus est dit neutre s’il ne provoque aucune réaction chez l’animal qui le reçoit.

Un stimulus est inconditionnel quand il est capable de déclencher une réponse de manière systématique sans qu’il y ait apprentissage.

  A ce stade, il faut comprendre que le même stimulus sera neutre ou inconditionnel selon l’espèce qui le reçoit ou encore qu’un signal peut être un stimulus pour certaines espèces mais ne le sera pas pour d’autres espèces si les organes des sens ne sont pas capables de détecter le signal. Par exemple, un ultra-son ne sera jamais un stimulus pour l’espèce humaine puisque nous ne les entendons pas mais pourra l’être pour les chiens, les chats, les souris…

  Le principe du conditionnement pavlovien est qu’un stimulus neutre peut devenir un stimulus qui va provoquer aussi une réponse, il n’est donc plus neutre mais devient un stimulus appelé stimulus conditionné (ou conditionnel). Le mécanisme mis en évidence par Ivan Pavlov a été appelé conditionnement pavlovien (ou classique). L’expérience est en général connue : un aliment apprécié par un chien est un stimulus inconditionnel qui provoque de la salivation.

  Pavlov constata qu’un stimulus neutre, le son d’une cloche, s’il était associé à la présentation de nourriture, finissait par provoquer de la salivation chez le chien alors que l’aliment n’est plus présenté. Après un apprentissage, le son de cloche n’était donc plus un stimulus neutre mais un stimulus conditionné.

  Le conditionnement opérant (ou instrumental) a lui été décrit par B. F. Skinner. Il est opérant parce que cette fois, l’animal doit réaliser une action sur son environnement (opérer est un synonyme d’accomplir une action). Contrairement au conditionnement pavlovien, le sujet ne réagit pas de manière purement réflexe à un stimulus inconditionnel. Le conditionnement opérant est généralement basé sur un comportement nouveau que le sujet doit découvrir de lui-même et qu’aucun stimulus identifié ne peut déclencher.

  Toutes les activités d’un animal qui conduisent par hasard à l’obtention d’une récompense ou à l’évitement d’une sanction sont susceptibles d’être conditionnées.

  Comme je l’ai précisé en introduction, comprendre le conditionnement opérant est une clef capitale qui nous permet d’expliquer comment naissent les comportements dont les comportements indésirables chez nos animaux de compagnie. Inversement, le conditionnement opérant peut aussi être une opportunité pour corriger des comportements indésirables.

  Comme ce conditionnement opérant n’est pas un réflexe, il va falloir convaincre l’animal de présenter le comportement que l’on attend de lui. Pour cela, il faut créer une motivation.

  Il y a deux manières de créer cette motivation, soit en utilisant un renforcement positif (quelque chose qui va procurer un certain plaisir à l’animal), soit un renforcement négatif (dans ce cas c’est l’inactivité de l’animal qui est sanctionnée).

  Le renforcement négatif ne doit pas être confondu avec la punition. La punition est la sanction d’un comportement que l’on ne souhaite pas et par la punition, l’objectif est d’obtenir la suppression de ce comportement.

2 – La méthode d’apprentissage que les chercheurs ont inventée pour communiquer avec les chevaux et ses étapes.

  Revenons maintenant à l’étude et voyons comment les chercheurs ont trouvé le moyen d’apprendre la signification de panneaux à des chevaux. L’apprentissage s’est étalé sur deux semaines, et a consisté en courtes séances quotidiennes et à l’aide de multiples conditionnements opérants.

J’en rapporte ici les grandes lignes.

Je vous conseille de regarder cette courte vidéo pour vous rendre compte des conditions expérimentales. Dans cette vidéo, le cheval est à la phase 3 de son apprentissage.

  Les chercheurs ont choisi d’utiliser trois panneaux sachant que les chevaux sont réceptifs à des signaux visuels. Ils ont attribué pour chaque panneau la signification suivante :

Panneau "avec couverture" - il signifie qu'une couverture va être mise sur le cheval
Panneau "sans couverture" - il signifie que l'on va enlever la couverture mise sur le cheval.
Ce panneau blanc "pas de changement" - il signifie que la situation restera inchangée.

  Neuf étapes ont été nécessaires pour apprendre aux chevaux la signification de ces panneaux par des conditionnements opérants.

  Ce sont des morceaux de carottes, très appréciées par les chevaux, qui ont été utilisées comme renforcement positif.

J’ai résumé ces neuf étapes en quatre phases :

Phase 1 : Les panneaux sont au départ des stimuli neutres pour les chevaux. Les premières étapes consistent à conditionner les chevaux à toucher les trois panneaux avec leur nez. Les chevaux sont donc systématiquement récompensés lorsqu’ils réalisent cette action.

Phase 2 : Les chercheurs ont ensuite appris aux chevaux la différence entre les deux panneaux, « avec couverture » et « sans couverture ».

Pour cela, un seul panneau est montré au cheval. Si le cheval a déjà une couverture, on lui montre le panneau « sans couverture » et inversement. Quand le cheval touche le panneau, il est récompensé et on lui enlève ou on lui met une couverture, selon le cas. Ici, le cheval apprend donc la signification des panneaux lorsqu’il les touche. Ensuite les deux panneaux sont présentés en même temps, le cheval n’est plus récompensé à chaque fois mais seulement lorsqu’il touche le panneau pertinent, c’est-à-dire si le cheval a une couverture, le panneau pertinent est le panneau « sans couverture » et inversement.

Phase 3 : Les chercheurs introduisent à présent le panneau « pas de changement ».

Seuls deux panneaux sont présentés, le panneau « pas de changement » et le panneau correspondant la situation inverse de laquelle il se trouve, soit le panneau « sans couverture » si il porte déjà une couverture et inversement.

Cette étape d’apprentissage est donc le moment où est introduite la notion de libre choix pour le cheval. Bien entendu, le cheval est à cette étape récompensé quelle que soit la solution qu’il choisit.

Phase 4 : Les chercheurs ont réalisé un dernier apprentissage en situation de froid et de chaleur pour aider les chevaux à comprendre l’effet des couvertures et leur relation à leur propre confort thermique.

Les 23 chevaux de l’expérience ont tous réussi cet apprentissage en 14 jours. Les chercheurs ont pu alors débuter l’expérience proprement dite.

3 – L’expérience et ses résultats

  L’expérience a consisté à tester les chevaux dans des conditions météorologiques différentes. Les résultats montrent que les choix effectués, c’est-à-dire le symbole touché, n’étaient pas aléatoires mais dépendaient de la météo. Les chevaux ont choisi de rester sans couverture par beau temps et ils ont choisi de porter une couverture quand le temps était humide, venteux et froid. Cela indique que les chevaux avaient tous une compréhension de la conséquence de leur choix sur leur propre confort thermique, et qu’ils avaient appris avec succès à communiquer leur préférence en utilisant les symboles.

  Les chevaux peuvent donc apprendre à nous dire s’ils ont trop chaud ou trop froid en comprenant la conséquence de porter une couverture ou non pour leur confort thermique.

  Les chercheurs sont unanimes aujourd’hui pour dire que nous avons sous-évalué les capacités mentales de nombreux animaux (et notamment des animaux dit de ferme), cette étude en est bien une preuve.

  Les chevaux ont une très bonne mémoire et sont capables d’apprentissages complexes, raisons pour lesquelles leur domestication et leur utilisation a été possible dans de nombreux domaines.

  Mais que leur avait-t-on demandé jusqu’à présent ?

  En équitation, la communication s’effectue toujours dans un seul sens, de l’humain vers le cheval. L’humain donne un signal, le plus souvent un signal vocal ou tactile et le cheval apprend à réagir.

  Le résultat de cette étude est passionnant car pour la première fois la communication homme-cheval a pu être établie dans l’autre sens, du cheval à l’homme. Il est certain que cette étude sera très utile pour continuer à explorer les capacités cognitives des chevaux qui sont bien plus performantes qu’on ne le croit encore aujourd’hui.

 

 

Bibliographie :

(1) Cecilie M. Mejdella,∗, Turid Buvikb, Grete H.M. Jørgensenc, Knut E. Bøed, Horses can learn to use symbols to communicate their preferences, Animal Behaviour Science 184 (2016) 66–73

(2) Jean-Michel Lassalle, « Apprentissage, adaptation et cognition », in J. Vauclair, M. Kreutzer (dir.), L’Éthologie cognitive, Paris, Ophrys, 2004, p. 49-75