L’intelligence des oiseaux a été très sous-estimée pendant des décennies. Il a fallu en effet attendre que les études scientifiques soient aidées de nouvelles technologies comme la biologie cellulaire et l’imagerie (comme l’IRM) pour que nos connaissances sur ce sujet soient totalement remises en question.
Avant cela, les hypothèses se basaient surtout sur des comparaisons anatomiques entre les cerveaux de différentes espèces et non sur leur fonctionnement. « L’erreur du petit cerveau » et le mythe du cerveau reptilien n’ont pas aidé à ce que les capacités de réflexion des oiseaux soient reconnues. Ces erreurs scientifiques sont intéressantes à rappeler car elles montrent que tout n’est pas forcément si simple qu’il n’y paraît et qu’il ne faut jamais faire des conclusions trop hâtives.
Toutes les espèces d’oiseaux ne montrent pas des niveaux d’intelligence identiques et si les poules ne sont pas des oiseaux aussi intelligents que les corvidés ou les perroquets, elles sont cependant loin d’être idiotes.
L’erreur du petit cerveau est un concept qui dit que « plus on a un cerveau petit, moins on est intelligent et moins on est conscient ». Il est vrai qu’il existe un lien entre le nombre de neurones et l’intelligence mais le nombre de neurones n’explique pas tout non plus et les capacités cognitives dépendent aussi du nombre de connections présentes entre les neurones.
Dans le cas des oiseaux, c’est bien la question du nombre de neurones qui a été rétablie.
Les chercheurs n’arrivaient pas à comprendre comment avec leur cerveau, réellement petit, ils arrivent à réaliser des performances cognitives qui atteignent, pour certains et dans certaines tâches, des niveaux comparables à celles des grands singes et des mammifères marins. C’est en découvrant que la densité en neurones du tissu nerveux des oiseaux est bien plus importante que celle des mammifères que l’intelligence des oiseaux est en partie expliquée aujourd’hui (1).
On peut retenir comme ordre de grandeur que les oiseaux ont deux fois plus de neurones que les primates pour une masse cérébrale identique.
Ainsi, il faut toujours être très attentif à ce qui est comparé. Dans cet exemple, la comparaison des systèmes nerveux de différentes espèces n’a aucun sens si le seul volume est pris en compte.
Chez la poule, les deux yeux pèsent aussi lourd que le cerveau tout entier. Son cerveau est petit mais contient en réalité beaucoup plus de neurones que celui d’un mammifère à volume égal.
Le mythe du cerveau reptilien a été développé dans les années 1960 par le neurophysiologiste américain Paul MacLean et fait aussi référence à une comparaison anatomique des cerveaux. Le mythe du cerveau reptilien est encore aujourd’hui très populaire et repris dans le secteur du marketing et du développement personnel alors que cette notion a été très vite considérée comme obsolète sur le plan scientifique (2).
Selon ce concept, le cerveau serait organisé en trois niveaux : un cerveau ancestral, dit reptilien, qui gérerait les comportements de base (manger, boire, se reproduire). Un deuxième niveau comprenant le système limbique qui donne naissance aux émotions. Et un troisième, le cortex, qui permettrait la pensée abstraite. Ces trois niveaux se seraient rajoutés successivement au cours de l’évolution faisant des mammifères et donc de l’homme, les stades ultimes des espèces les plus développées et par conséquent les espèces les plus intelligentes, puisque c’est chez les mammifères que le cortex apparaît comme étant le plus évolué.
Le cortex cérébral est cette partie du cerveau qui est chez l’homme très complexe et volumineuse. Cette structure anatomique est négligeable chez les oiseaux : le cortex des oiseaux est lisse et ne possède pas les plis et les bosses, que l’on peut observer avec le cerveau des mammifères.
S’il est donc vrai que les reptiles ont un cerveau plus simple que les oiseaux qui ont eux-mêmes un cerveau plus simple que les mammifères, il est absolument faux aujourd’hui de considérer que leur cerveau correspond à la partie du cerveau des mammifères qui s’occupe seulement des fonctions vitales.
Ainsi, même si les reptiles ont un répertoire mental qui est moins riche que celui des mammifères, ils montrent quand même des comportements élaborés dans lesquels par exemple une mémorisation est nécessaire.
Si les capacités intellectuelles les plus élaborées chez les mammifères (ce que les chercheurs appellent fonctions analytiques de haut niveau) se trouvent effectivement dans le cortex cérébral, il existe des capacités intellectuelles de niveaux comparables chez d’autres espèces qui s’élaborent dans d’autres zones de leur cerveau. Chez les mammifères, les cellules du cortex se sont développées à la surface du cerveau pour former le néocortex, alors que leurs équivalents chez les oiseaux se sont développés en restant en profondeur au sein du cortex (dans l’aire du striatum).
Il ne faut donc pas conclure trop vite que le cerveau des oiseaux est inférieur à celui des mammifères. Il faut surtout comprendre que les oiseaux traitent l’information de façon différente et en d’autres emplacements que les mammifères.
Le cas des pieuvres au système neveux très particulier est aussi édifiant puisqu’on considère aujourd’hui que leurs capacités cognitives sont comparables à celles des mammifères.
On peut donc affirmer aujourd’hui que des facultés cognitives élaborées et très voisines sont apparues dans des groupes zoologiques très distincts primates, cétacés, oiseaux (corvidés, psittacidés), poissons, céphalopodes.
L’intelligence dans ses formes les plus perfectionnées est donc née plusieurs fois sur la planète dans des lignées d’espèces très distinctes et ceci devrait mettre un terme à toutes nos pensées anthropocentriques.
Mais après avoir tordu le cou aux mythes du petit cerveau et du cerveau reptilien, revenons à nos poules et que sait-on aujourd’hui de leur monde et de leurs capacités intellectuelles ?
Les poules interprètent le monde avec une ouïe fine et une vision très spécialisée (3).
Cette vision est très différente de la nôtre. Alors que nous déplaçons nos deux yeux pour suivre quelque chose en mouvement, les poules déplacent leur tête pendant que leurs yeux effectuent de petits mouvements et ainsi peuvent percevoir le même objet par des images distinctes les unes des autres mais répétées.
Il existe également de grandes différences anatomiques entre l’œil de la poule et celui de l’homme comme la fovéa, zone de la rétine permettant la vision des détails, qui ne représente chez l’homme qu’une petite zone unique alors que la fovéa des poules est une bande allongée horizontalement.
Les poules peuvent regarder un objet dans leur champ latéral monoculaire ou dans leur champ frontal binoculaire et passer souvent de l’un à l’autre car elles peuvent utiliser chaque œil de façon indépendante. Elles peuvent ainsi changer d’œil et même regarder à une distance différente pour chaque œil. C’est même de manière générale qu’elles utilisent de façon alternée la vision latérale et la vision frontale binoculaire lorsqu’elles s’approchent d’un objet pour l’observer.
La mémoire des poules est remarquable
Pour se souvenir d’autres visages, les poules doivent pouvoir observer leurs congénères de face et à moins de trente centimètres. Mais dans cette situation, elles sont alors capables de mémoriser plus de cent autres faces de poules et de reconnaître des congénères après plusieurs mois de séparation.
Elles comprennent certains concepts abstraits.
Un concept abstrait peut être défini comme quelque chose qui est perçu par l’esprit sans qu’il y ait une réalité matérielle à l’origine de cette perception. Le concept du « zéro » ou du « rien » est par exemple un concept abstrait dont la présence a été démontrée chez certaines espèces d’oiseaux comme le gris du Gabon, un perroquet.
Les poussins à l’âge de trois jours sont eux capables d’identifier un objet tout entier quand on en cache une partie. Il y a donc dans leur cerveau la création d’une image mentale de la partie cachée de l’objet.
Ils peuvent aussi à l’âge de cinq jours localiser des objets entièrement cachés, ce qui montre qu’ils créent et stockent des représentations mentales des objets à un âge très précoce.
Les poules ont la capacité de dénombrer.
Les chercheurs ont voulu savoir si les poules pouvaient distinguer un nombre plus grand et un nombre plus petit d’objets. Ils ont alors imaginé une expérience dans laquelle ils présentaient aux poules des ensembles d’objets. Ils ont pu montrer que lorsque on présente des ensembles d’objets identiques à des poules, elles préfèrent les ensembles qui contiennent d’avantage d’objets à ceux qui en contiennent moins.
Les autres compétences complexes qui ont été démontrées chez les poules sont la réalisation de calculs arithmétiques de base, la compréhension de certains principes de physiques comme la solidité ou encore la compréhension de principes de géométrie.
Les poules peuvent anticiper l’avenir.
Les chercheurs ont pu mettre en évidence cette compétence en apprenant à des poules à donner un coup de bec sur des boutons de couleur pour obtenir de la nourriture. Si une poule n’attendait qu’un court moment avant de presser le bouton, elle recevait seulement une petite ration de nourriture, par contre si elle patientait plus longtemps, la quantité de nourriture distribuée était plus importante.
Dans cette expérience, 9 poules sur 10 choisissaient d’attendre. La capacité d’envisager l’avenir et de se restreindre au profit d’une récompense future est également une compétence que l’on croyait réservée aux seuls primates.
Les poules ont un langage sophistiqué
Leur langage implique plusieurs sens : la vue, des vocalisations et le toucher combinés pour exprimer des messages.
Les poules domestiques comme les poules sauvages produisent au moins 30 vocalisations différentes. Ces vocalises concernent le territoire, l’accouplement, le nid, la soumission, la détresse, l’alarme lors de menaces, la nourriture, la satisfaction et la peur.
Deux types d’alarmes ont été identifiées. Les cris en réaction à des menaces identifiées au sol, comme les renards ou les chiens, sont des caquetages puissants et répétés qui sont destinés aux autres poules mais aussi émis à l’attention du prédateur.
Les cris en réaction à des menaces identifiées dans les airs, comme la présence d’un rapace, comprennent toute une série de sifflements et de hurlements courts et de faible intensité.
On sait aujourd’hui que ces cris d’alarme sont porteurs de sens et ne sont pas seulement des cris involontaires qui reflèteraient seulement un état de peur. Ces cris transmettent bien des informations précises qui sont comprises par ceux qui les reçoivent.
Les échanges d’information sur la nourriture sont également précises. Les poules répondent aux cris indiquant la présence d’aliments nouveaux mais réagissent moins aux messages indiquant des aliments connus.
Les chercheurs ont pu ainsi démontrer l’existence d’une syntaxe et d’une sémantique dans le langage des poules, caractéristiques que l’on pensait jusque-là trouver exclusivement dans le langage humain.
Les poules ont avec leur petit cerveau des facultés intellectuelles étonnantes. Des études ont aussi démontré qu’elles sont sujettes à l’anxiété et à la frustration, comme nous. Ne méritent-elles pas qu’on les regarde aujourd’hui d’un œil nouveau et bienveillant?
Bibliographie
(1) Seweryn Olkowicz, Martin Kocourek, Radek K. Lučan, Michal Porteš, W. Tecumseh Fitch, Suzana Herculano-Houzel, and Pavel Němec – Birds have primate-like numbers of neurons in the forebrain – PNAS 2016 Jun 28;113(26):7255-60
(2) Sébastien Lemerle, Le cerveau reptilien, sur la popularité d’une erreur scientifique. Editions du CNRS, 2021.
(3) Révolutions animales, le génie des animaux, sous la direction de Karine Lou Matignon, Les liens qui libèrent, 2019. Cet article a été largement inspiré de celui de Annie Potts, professeur agrégée à l’Université de Canterbury (Nouvelle-Zélande) présent dans cet ouvrage et intitulé « Comment les poulets voient le monde ? »